Alain Coudé

Texte écrit quelques jours après le décès précipité d’Alain Coudé (11 mai 2020) par deux de ses bonnes amies.

Nous venons de perdre un grand ami. Un grand homme. Un homme pas comme les autres. Alain Coudé est décédé lundi matin et c’est injuste. Surtout en ces temps particuliers, alors que nous n’avons même pas pu le saluer une dernière fois, l’embrasser, lui dire comme on l’aimait, ni même accompagner sa Louise et ses jumelles adorées, ni les serrer fort dans nos bras. La mort est injuste, l’est encore davantage en temps de pandémie, et mille fois plus encore dans son cas précis. Parce qu’il ne devait pas mourir. Pas lui, pas maintenant. Des gens qui n’ont pas le droit de mourir, on n’en rencontre pas souvent.

Son histoire est singulière. Et trop courte. Elle a pris un tournant inattendu quelques mois après la naissance de ses jumelles lorsqu’on leur a diagnostiqué tour à tour le Syndrome d’Andermann, une maladie neurodégénérative très rare. Elle a pris un tournant dramatique lorsque, trente ans plus tard, il a reçu un diagnostic de cancer.

Entre ces deux tournants majeurs, des millions de gestes significatifs ont été posés par lui, il a pris soin de ses filles avec le plus grand des dévouements, ses poules comme il les appelait, alors que c’était lui le papa-poule, et ce, à ce qu’on nous a dit, jusqu’à son tout dernier souffle. Il avait tellement peur qu’elles attrapent la Covid-19 (parce que leurs poumons sont très fragiles) que même de son lit d’hôpital, il a réussi à créer un cocon autour d’elles, loin de la virulence, éliminant toute source potentielle de danger.

Tous ceux qui ont croisé son chemin ont été marqués à jamais par sa générosité sans borne, sa bonté, sa force incommensurable et son optimisme contagieux. Transformer le négatif en positif, c’est ce qu’Alain a toujours voulu et su faire. Il a choisi d’être un homme heureux. En plus de son métier d’ingénieur, il a consacré sa vie à améliorer les conditions des enfants gravement malades – celles de ses filles en particulier –, en créant entre autres avec sa femme la Fondation des jumelles Coudé en 1991. Depuis, en plus de faire avancer grandement la recherche sur la polyneuropathie sensitivo-motrice et d’en ralentir ainsi sa progression, il a également pu offrir du soutien à de nombreuses familles ayant un enfant atteint par cette maladie, et même créer récemment une bourse annuelle pour des universitaires gradués travaillant sur diverses maladies neurodégénératives. Qui plus est, il a été intensément impliqué au sein de divers organismes et comités tels que Le Phare, Enfants et Familles, l’Académie Zénith, le Grand défi Pierre Lavoie et le Défi des Collines, ayant toujours à cœur le bien-être des enfants malades et celui de leur famille.

Comme le dit si bien son amie Louiselle Paquin, ancienne directrice générale du Phare,  Alain s’est activement impliqué dans le Phare, Enfants et Familles, organisme dédié aux soins palliatifs pédiatriques et aux soins de fin de vie d’enfants gravement malades, ainsi qu’au soutien de leurs familles. Alain et son épouse Louise sont reconnus comme « parents-fondateurs », dans la toute petite équipe visionnaire qui a conçu et mis au monde ce projet en 1999. En 2007, Le Phare a ouvert la Maison André-Gratton. Leurs filles, Alexandra et Valérie, l’ont inaugurée et ont levé la première pelletée de terre. Elles ont apporté leurs commentaires et leur appréciation au comité de construction, contribuant ainsi à ce que la Maison soit particulièrement adaptée aux besoins de la clientèle. Alain a été président du Conseil d’administration de 2000 à 2001 et il a siégé sur le CA jusqu’en 2010. De plus, Alain a fait bénéficier bénévolement le Phare, Enfants et Familles de son expertise d’ingénieur comme membre du comité de construction et plusieurs fois encore dans le cours de l’histoire du Phare. Le Phare, Enfants et Familles est maintenant un organisme reconnu comme chef de file en soins palliatifs pédiatriques au Québec.

Ce grand homme au destin singulier ne sera jamais oublié. Son engagement était hors du commun. Il en a fait de grandes choses. De millions de grandes choses. Chaque jour, chaque heure, chaque minute. Et comme il le disait si bien, Il faut vivre une minute à la fois. Ses dernières minutes à lui sont arrivées beaucoup trop vite.

Alain, l’ingénieur ingénieux, l’homme au cœur débordant, a donc passé sa vie à se battre pour la qualité de vie de ses filles. À se battre pour qu’elles soient heureuses, qu’elles restent en vie le plus longtemps possible, dans les meilleures conditions possibles. Il a voué sa vie à repousser la mort de ses filles, la nier presque; seule sa mort qu’il n’aura pas su repousser. C’est bien lui ça : tout le monde avant lui. Exactement comme sa Louise. Qui se ressemble, s’assemble.

Ces deux-là, d’ailleurs, s’aimaient d’un amour incommensurable, plusieurs couples qui ont un enfant avec une maladie à issue fatale se séparent dans les années qui suivent le diagnostic. Avec des jumelles : ce n’est évidemment pas dans les statistiques. Mais jusqu’à sa mort, la séparation, eux, c’est un mot qu’ils n’avaient jamais connu. Ils ont célébré leurs quarante années de mariage il y a quelques étés. Ils s’aimaient d’un amour fou malgré le chaos de leur vie, malgré le manque de sommeil, malgré leurs saisons sans vacances, malgré leurs jours sans répit et leurs nuits toujours incomplètes, malgré la rigidité et l’intensité de leur quotidien, malgré la fatigue accumulée et leur intimité toujours bousculée, en fait, ils s’aimaient encore plus malgré tout ça. Et ils étaient beaux à voir ces amoureux-là. Ils s’admiraient, se respectaient, se tenaient main dans la main, et ce, jusqu’au tout dernier souffle d’Alain. Leur désunion est d’une tristesse absolue.

Ensemble, ils ont été capables d’accomplir d’énormes choses. Et le départ d’Alain n’est pas la fin de leur grande histoire d’amour, loin de là, tout ce qu’ils ont bâti ensemble continuera de croître. Leur Fondation ne cessera jamais de porter ses fruits.

On espère profondément qu’il a franchi son dernier fil d’arrivée sur son vélo de route adoré, en roulant le sourire aux lèvres, enfin délivré, et qu’il déguste avec bonheur une bonne bière de microbrasserie québécoise, comme on faisait souvent avec lui les dimanches après-midi.

Cher Alain, on trinque à toi, à ta grandeur, à ton immensité.

On ne t’oubliera jamais, l’ami.

Et on veillera sur ta Louise chérie et tes deux poules d’amour, tout comme ceux qui t’aimaient tant (et il y en a énormément!)

 

Sylvie Cadorette et Maryse Latendresse